Conversion pastorale du groupement Rive de Loire, diocèse d’Orléans
26 septembre 2018Accueil à la paroisse Sainte Cécile
29 mai 2019Conversion pastorale des paroisses Notre Dame de l’Orne et Saint Jean-Eudes, diocèse de Séez
Le contexte (2018) :
Ces deux paroisses, dans la périphérie d’Argentan, en Normandie, sont marquées par un contexte particulier qui a une influence forte sur ce qu’a pu entreprendre et sur les projets d’Alexis de Brébisson, curé de ND de l’Orne depuis septembre 2013 et de Saint Jean-Eudes deux ans après.
Le département de l’Orne connait une population en décroissance (il perd 500 enfants scolarisés par an), sans réseau ni grande entreprises pour animer l’économie. Un peu d’agriculture, de moins en moins, des haras et du tourisme vert. La problématique est celle d’une animation en milieu rural.
Dans cette région de bocage normand, où la population est dispersée et peu dense (48 hab/km2), les deux paroisses regroupent 20 clochers chacune, dans des communes qui vont de 50 à 1500 habitants, environ 9000 habitants au total. Les églises, chapelles, sanctuaires caractérisent le paysage. Il y a 40 ans, il y avait 15 prêtres et l’Eglise était omniprésente. Le curé avait un rôle d’animation de la communauté qui dépassait le strict rôle de prêtre : visites et rôle de confident (souci, santé, famille, voisinage…), “animateur social” pour les enfants, les jeunes et les adultes. Le départ non remplacé des prêtres et la baisse de la pratique religieuse s’effectue sur quatre générations : les arrière grands-parents allaient à l’Eglise, leurs enfants ont arrêté de pratiquer, les petits-enfants ont été baptisé, ont fait du caté sans pratique et ils ne baptisent par leurs enfants. Un facteur important de la coupure fut l’arrêt des patronages et autres œuvres similaires dans les années 60. L’Action Catholique qui les a remplacées n’a pas réussi à enrayer ce déclin. Le plan était d’assurer la croissance spirituelle des jeunes dans l’Eglise et par leur participation dans les activités “laïques”, d’évangéliser les autres jeunes. Cela n’a pas fonctionné.
Un prêtre qui arrive dans ce milieu doit tenir compte d’une population à la fois composée de personnes ancrées dans le territoire, accueillantes mais méfiantes à l’égard des gens de passage, et d’autres qui viennent se mettre au vert et aspirent à ne pas être dérangée. Une situation donc au démarrage en demi-teinte :
- Du côté des moins : implication faible dans la vie religieuse, une certaine inertie spirituelle par peur du regard des autres, peu de familles engagées et motrices, comme on peut en trouver dans les paroisses urbaines ou semi-urbaines qu’a connues le Père auparavant (curé depuis 2001) ;
- Du côté des plus : des lieux de prières nombreux, un tissu relationnel fort au sein de la population du terroir et si l’on est accepté, “cela va très vite”, mais dans un pas de temps où il faut être patient.
La lettre pastorale de Mgr Jacques Habert, évêque du diocèse de Séez, donne parmi les orientations de la rentrée 2018 (29 août), une visite pastorale du monde rural dans les dix pôles missionnaires, d’octobre à juin 2018, au terme de laquelle des enseignement seront tirés lors d’une rencontre synodale.
Le processus de la conversion pastorale :
Encore plus que pour d’autres expériences, ce processus est en cours, par essence il ne sera jamais achevé, avec un facteur temps particulier au monde rural.
Il commence par l’insertion du curé, par une pastorale de proximité.
En arrivant dans son ministère, sans plan préétabli, le Père Alexis a eu le souci d’aller vers ses paroissiens là où ils se trouvaient. L’orientation prise par le synode diocésain, 20 ans auparavant, avait été de regrouper les paroisses et de concentrer l’activité religieuse autour de l’église principale. Tout en continuant ce souci du rassemblement le dimanche, il a voulu profiter de l’atout d’un territoire parsemé de lieux de prières en décidant de célébrer la messe quotidienne, à tour de rôle, dans chacun des villages. Cela lui permettait de rendre visite à chacune des petites communautés en moyenne une fois par mois, de faire revivre aussi les églises auxquelles la population reste très attachée. Elles sont des repères, des lieux d’amitié, ce qui est fondamental. Un pot après la messe permet de un temps de fraternité. Celle du dimanche reste célébrée à l’église principale.
L’insertion passe aussi par la participation à la vie locale, le traditionnel repas des anciens, les brocantes, les associations, etc. Il fait partie des pompiers volontaires.
Des activités ont été mises en place avec plus ou moins de succès.
Le premier projet a été la mise en place d’activités pour les jeunes, ce qui a amené une certaine reconnaissance en particulier des parents, heureux de voir occupée leur progéniture, une impression de « rajeunissement » pour la communauté paroissiale, l’espérance d’un avenir. Ce projet fut lancé en raison de la présence d’adultes ayant le souci des jeunes et capables d’encadrer. Un centre de loisirs, type patronage, fut créé avec au cœur des activités la mise en place d’un nouveau parcours de catéchèse : « Viens, suis-moi ».
Le deuxième projet a été d’instituer un parcours pour les personnes en demande de sacrement, baptême pour les enfants, préparation au mariage. Construit avec l’équipe d’animation pastorale, qui s’est demandé au départ quel itinéraire leur faire vivre. Deux axes se sont rapidement dégagés : le témoignage d’amitié dans la paroisse et les amener à réfléchir comme adulte sur la foi. Le curé commence donc par leur rendre visite à leur domicile. Puis, ils sont invités à participer à la messe dominicale où ils sont présentés et où ils expriment publiquement leur demande. Ils assistent ensuite à deux soirées « découverte de la foi », qui sont animées deux fois par mois au presbytère. Y sont rappelés les essentiels, « la foi pour les nuls », conjugués avec des témoignages. Enfin, les futurs mariés sont invités à un repas avec des couples mariés et, bien sûr, d’autres rencontres avec le prêtre ont lieu avant la célébration.
A la suite de ces deux premiers parcours, l’équipe pastorale élabore un « parcours en Eglise » pour permettre à chacun de vivre un itinéraire de foi selon ce qu’il est et ce qu’il vit.
D’autre part, une rencontre dans chaque commune autour de la question de l’église a permis de faire le point sur son utilisation autant au niveau culturel que cultuel. A partir de là, la paroisse cherche à continuer à développer une pastorale dite de proximité.
Deux missions d’évangélisation ont été entreprises, une par an autour de l’Ascension depuis 2016, associant porte à porte (PAP), soirées de louange tout public et veillées de reconciliation et de prières sur une semaine. Elles ont été menées sur le doyenné par les 40 séminaristes de Rennes, puis par deux communautés, les franciscains du Bronx et les sœurs de la Nouvelle-Alliance. Le PAP s’appuyait sur un questionnaire (adapté d’un support Talenthéo), qui sonde les personnes rencontrées sur leurs attentes spirituelles et à l’égard de l’Eglise (cf. plus d’info). De belles rencontres, effectuées sans la participation des paroissiens à ce stade, mais qui préparent de futures actions. Elles ont fortement marqué le Père Alexis. Tout d’abord, constat d’appréhension, d’angoisse du premier contact « c’est comme plonger dans une piscine d’eau froide ». Puis, surprise d’être reconnu « comment allez-vous Monsieur le curé ? ». Enfin, après une heure passée ensemble, partage profond sur toute une vie de foi ou, chez une personne plutôt hostile à l’Eglise, témoignage d’une blessure ancienne ; cela se termine par un Notre Père, un Je vous Salue et le partage des intentions de prière. Une graine est semée. Constat aussi que c’est très difficile pour un curé de le faire seul. Après cette belle expérience, il avait réservé dans son calendrier deux heures de rencontres en porte à porte, mais cela n’a pas tenu. « Ce n’est pas pour rien que le Christ a envoyé ses disciples deux par deux ».
Une Ecole d’oraison a eu lieu pendant deux ans réunissant de 15 à 20 personnes.
Suite au cheminement d’une petite dizaine de jeunes adultes catéchumènes, un projet est en train de se mettre en place, les fraternités paroissiales. Pour lancer cette nouvelle expérience, la paroisse s’appuiera sur le réseau New Pastorale https://fr.newpastoral.net/. Lancé par le père Boguslaw Brzys à partir de l’expérience des petits groupes mis en place à Fontainebleau (cf. https://actionenparoisse.com/maisonnees-thematique-avant-noel-ou-paques/), il offre des ressources pour animer ces soirées, notamment des vidéos de « grands témoins ».
Dans un souci de créer des occasions de réflexions, ont eu lieu en mai 2018, le lundi de Pentecôte, les rencontres de Giel, mini-colloque sur l’évangélisation dans le monde rural (« Eglise que fais-tu du rural ? »), appelé à se renouveler chaque année (www.lesrencontresdegiel.fr). Une intéressante table ronde (vidéo en ligne sur ce site) confirme les éléments de contexte : le maire de Giel rappelle qu’aujourd’hui il est le dernier agriculteur dans l’équipe municipale, constat appuyé par deux étudiantes (WEMPS – cf. infra) qui pendant 6 mois en milieu rural ont vu deux populations, ruraux et nouveaux ruraux, qui ne se rencontrent pas et un tissu associatif qui périclite (l’Eglise dernier service public ?) ; enfin, sœur Cécile de la communauté de la Nouvelle Alliance témoigne du contact préservé avec la création, dans la vie rurale, source d’émerveillement. Un point important de débat, qui reviendra dans les prochaines éditions est le choix entre annoncer l’Evangile ouvertement ou reprendre la voie de l’Action catholique qui visait à être au plus proche de la vie des gens et, à partir de là, faire jaillir l’Evangile. Deux approches non contradictoires, l’important étant in fine, l’appel à la conversion.
L’inspiration et les appuis :
Talenthéo : le Père Alexis a suivi en 2015/16 le parcours Des Pasteurs selon mon cœur (PSMC) avec deux autres prêtres, le curé d’Argentan et un prêtre togolais, curé de Trun. Le week-end final a été suivi avec une vingtaine de paroissiens engagés (dont une partie des membres de l’équipe d’animation pastorale). Expérience extrêmement positive, car très équilibrée entre déploiement d’une dynamique d’équipe, fond de recherche sur les enseignements de l’Eglise et orientation marquée vers l’évangélisation.
Une première richesse a été d’apprendre à consacrer du temps et vivre une fraternité avec les laïcs qui avaient participé au parcours, à l’image du Christ et de ses disciples, l’objectif étant qu’ils deviennent disciples missionnaires. Une coach est revenue à deux reprises pour animer cette fraternité.
Le parcours a permis également de travailler la collaboration entre prêtres diocésains, ce qui est particulièrement important en milieu rural et n’avait pas été intégré suffisamment auparavant : prise de conscience des avantages de travailler à plusieurs, de percevoir les talents et les tempéraments de chacun et de jouer la complémentarité. Cette dimension a été d’autant plus profitable que le curé d’Argentan était arrivé en même temps et que le tempérament et les approches différentes avaient suscité au départ des relations distantes. L’objectif est maintenant d’arriver à se voir toutes les semaines pour construire des projets ensemble. Le Père Alexis est maintenant convaincu que l’absence de travail en commun, faute de sensibilisation et de formation, est un obstacle majeur à la réalisation de projets missionnaires.
Une réalisation au niveau du Doyenné (appelé maintenant Pôle Missionnaire) a été les semaines missionnaires et le lancement du projet de maisonnées, ou petits groupes, en cours d’élaboration : une soirée dans une cellule familiale une fois par mois pour vivre les cinq essentiels en invitant ses proches, les deux objectifs étant de vivre un temps de fraternité et la mission par la démultiplication. Le projet est aussi ensemble de commencer le Parcours Alpha.
Lors de la rencontre de Giel, les WEMPS ont animé une table ronde. Destiné aux jeunes, ce mouvement ce défini ainsi : « Un WEMPS, c’est un Week-End Mission Prière Service pendant lequel une paroisse, accompagnée de jeunes venus de toute la France pour l’occasion, sort à la rencontre de ses habitants pour apprendre à mieux les connaître et leur proposer de faire un pas vers le Christ » : préparation des paroissiens à la mission, temps de mission, soirées spectacle/prière, animation de messe. (https://www.wemps.fr/informations-pratiques).
Conditions de succès, obstacles, enseignements :
La pastorale de proximité est un pré-requis, cela a été dit, néanmoins :
Gérer 40 clochers n’est-ce pas trop, surtout si on a l’intention d’aller à la rencontre des paroissiens là où ils se trouvent ? Pour le Père Alexis, l’obstacle n’est ni celui-là, les distances sont assez faibles (20 minutes pour aller d’un bout à l’autre de la paroisse), ni la surcharge de travail, mais de savoir tenir ses priorités. A la différence d’une paroisse urbaine, où il est possible de rester au centre de la paroisse et avoir la visite et le compte-rendu des actions menées par les responsables, il faut sortir pour aller aux périphéries, en profitant de la facilité extraordinaire de la mise en relation en milieu rural. Ponctuellement, il a été confronté à une mauvaise compréhension de son rôle dans la deuxième paroisse, saint Jean Eudes (Putanges), où il a voulu répliquer l’expérience de la première, deux ans après, sans tenir compte assez de la vie paroissiale passée. Dans la mesure où une communauté de prêtres salésiens âgés, responsables d’un internat, célébrait la messe du dimanche à Putanges, au « centre », il a pensé qu’il lui suffirait d’aller célébrer les messes de semaine dans les villages. Cela a été mal vécu par les paroissiens de Putanges qui se sont sentis ostracisés en quelque sorte. Aujourd’hui une réflexion est en cours pour lui permettre d’être présent aux rassemblements dominicaux dans les deux paroisses.
La mise en place de personnes relais dans les villages ne se fait pas toujours facilement. Avec le départ prévu des prêtres à la retraite, il y eut dans le passé une volonté de nommer des responsables sur chaque clocher (responsable de l’Eglise, des obsèques…), le Père Alexis a retrouvé de nombreuses listes. Cela a buté sur deux difficultés : la première est la peur de s’engager publiquement dans une démarche de foi, avec le regard des autres dans une toute petite communauté où tout le monde se connait : crainte d’être raillé en tant que « bonne du curé », de s’afficher vertueux alors que chacun est au courant de ses défauts et manquements (« tu fais le malin à l’église mais je connais ta vie peu vertueuse, de quelle manière tu discutes avec le voisin sur son bout de champ » etc.). La deuxième est l’absence de bassin de vie et, partant, de bassin d’emplois et de bassin de vie paroissiale. L’engagement dans la vie paroissiale provient donc souvent, quand il y en a, des personnes extérieures qui n’ont pas peur du regard des autres ou de chrétiens catalogués comme tel et qui assument. L’objectif reste de former ces personnes et de les envoyer à l’extérieur. Une idée en cours est de monter une foire paroissiale, pour les réunir et expliquer certains fondamentaux, animer un moment de prière, entretenir l’église…
Conversion du pasteur. Le Père Alexis est bien conscient que c’est là le fondement de sa mission. Le danger, à la fin, est d’être partout en étant nulle part. La prière est le moyen de se recentrer et doit être en haut des priorités du curé. Il a pu expérimenter que, tel Moïse, qui sur le champ de bataille «quand il tenait la main levée, Israël était le plus fort, quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort » (Exode 17,11), ses actions avançaient plus vite quand il priait et beaucoup moins quand sa prière se relâchait.
Les fruits :
Le Père Alexis estime que la messe à Ecouché (ND de l’Orne) est maintenant vivante et belle. Dans les villages, la renaissance des clochers, grâce à la messe périodique, se manifeste par des églises ouvertes, le lancement de travaux de restauration, des prières, des fleurs ou tout simplement des cierges allumés.
Le cheminement dans la fraternité du curé et de son groupe de paroissiens (cf. inspiration et appuis) est porteur de promesses avec des projets réalisés (semaines missionnaires) et à venir (maisonnées et sans doute plus tard le porte à porte).
Un mouvement est lancé, la conversion pastorale se construit peu à peu.
Avec son équipe pastorale, fort de leur expérience depuis 5 ans et de leur désir commun d’évangéliser, ils ont pris comme vision : « Que ton Eglise soit parlante et vivante ! ».
Plus d’info :
Sites : https://paroisse-catholique-ecouche-ndvo.jimdo.com/ et http://www.stjeaneudes.fr/
Contact : Père Alexis de Brébisson, notredameduvaldorne@gmail.com, 02-33-35-12-20
Documents : Que nos églises soient parlantes et vivantes sondage PAP
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